La grotte Cosquer : la datation des œuvres pariétales

​Deux chercheuses du LSCE (CEA-CNRS-UVSQ) ont publié un article dans un numéro hors-série d'Archeologia à l'occasion de l'inauguration du fac-similé de la grotte Cosquer dans le département des Bouches-du-Rhône.


Cette grotte préhistorique ornée, aujourd'hui envahie par la Méditerranée et uniquement accessible en plongée, a fait l'objet de nombreuses études. Elle possède des représentations pariétales dessinées au charbon de bois, en très bon état.  Dès la découverte de la grotte en 1991, des prélèvements d'échantillons sur des représentations pariétales ont été effectués et ont fait l'objet d'une datation au 14C (déduite du rapport des isotopes 14C/12C de l'échantillon que l'on compare au rapport 14C/12C actuel).

Les échantillons ont été prélevés sur différentes représentations : 18 animaux, 5 mains négatives et 6 graphiques abstraits. 9 fragments de charbon de bois présents sur le sol. Toutes les datations, sauf une réalisée à Lyon sur des charbons de bois trouvés au sol, ont été effectuées au LSCE en utilisant la spectrométrie de masse par accélérateur (Tandétron à Gif-sur-Yvette dès 1991, Artémis à Saclay depuis 2007) en raison de la masse de carbone très faible qui peut être prélevée sur les peintures pariétales.

En outre, deux fragments de spéléothèmes (concrétions calcaires qui se forment dans une cavité souterraine) qui recouvrent le sol de la grotte ont également été datés par la méthode uranium-thorium, via la spectrométrie de masse à multi-collecteurs couplée à un plasma inductif au LSCE. Cette datation a indiqué qu'ils se sont déposés pendant l'Holocène (époque géologique s'étendant sur les 12 000 dernières années, toujours en cours), preuve que la grotte reçoit toujours des eaux d'infiltration et témoigne d'un concrétionnement postérieur au Paléolithique.

(c) atlantic-kid / Getty Images
Les âges des différentes peintures pariétales se situent entre 33 000 et 20 000 ans, en bon accord avec le fait que la grotte n'était accessible aux humains que pendant les périodes glaciaires, alors que le volume de l'eau gelée dans les glaciers avait provoqué une baisse du niveau de la mer.

Les différentes datations ont permis de mettre en évidence deux grandes périodes de décoration de la grotte, séparées par plusieurs millénaires :

  • Une première période date de 33 000 à 29 000 ans ; elle est caractérisée par les mains négatives, 4 animaux et 2 figures abstraites.
  • Une seconde période datant de 25 000 à 20 000 ans Before Present (« avant le présent » qui est fixé à l'année 1950), comporte le reste des animaux et les figures abstraites. Pendant cette période, on trouve également les traces de 2 foyers.

Les datations ont aussi montré quelques résultats inattendus. Des représentations d'animaux dont les tracés stylistiques sont similaires et qui proviennent de la même zone dans la grotte, se sont avérées dater de 2 périodes très différentes. L'hypothèse la plus probable est qu'il y a eu entre les deux périodes d'occupations un maintien des conventions stylistiques et les hommes préhistoriques de la seconde période ont recopié les premiers dessins. Une seconde hypothèse, moins probable, est la réutilisation tardive de charbons abandonnés lors de la première période d'occupation.

La grotte Cosquer est aujourd'hui l'une des grottes ornées qui a fait l'objet du plus grand nombre de datations 14C mais ce nombre reste faible au regard de l'abondance de son décor pariétal dont la réalisation suscite encore de nombreuses questions qui devront être levées avant que la mer ne les détruise.

Grotte andalouse de Nerja : des datations de stalagmites perturbées par des transformations minéralogiques

​Une collaboration franco-espagnole impliquant le LSCE (CEA-CNRS-UVSQ) a analysé deux stalagmites de la grotte de Nerja (Andalousie) afin d'éclairer les archéologues. Question : le niveau noir observé dans l'une d'elles est-il formé de suie et quel est son âge ?


(c)bbsferrari/Getty ImagesDécouverte en 1959 en Andalousie, près de Malaga, la grotte de Nerja abrite des parois ornées de très nombreux motifs et points, de représentations animales, parmi lesquelles un bouquetin, devenu l'emblème du lieu. Afin de préciser la chronologie de l'occupation humaine de la grotte, les archéologues collaborent avec des experts de la datation d'archives paléoclimatiques.

Des climatologues du LSCE ont ainsi étudié des échantillons prélevés sur deux stalagmites de la grotte par différentes méthodes de datation (uranium-thorium et carbone 14) et ont confronté leurs résultats à une étude stratigraphique, s'appuyant sur des analyses par spectrométrie infrarouge à transformée de Fourier (FTIR).

Cette dernière technique révèle que la première stalagmite est formée d'aragonite – un minéral métastable, composé de carbonate de calcium CaCO3 et de traces de métaux, qui cristallise dans des milieux particuliers, notamment à partir d'eaux contenant beaucoup de magnésium. En revanche, la seconde stalagmite, présente dans certains niveaux, des traces de transformation d'aragonite en calcite – un minéral différant de l'aragonite par la composition de ses éléments traces.

Dans le cas de la stalagmite purement aragonitique, les âges U/Th et 14C sont compatibles et en cohérence stratigraphique. Au contraire, la seconde stalagmite présente des inversions d'âges du chronomètre U/Th dans les zones de recristallisation d'aragonite en calcite, alors que les âges carbone 14 restent en cohérence stratigraphique tout au long de l'échantillon. Le chronomètre 14C semble donc rester valide dans le cas des transformations minéralogiques observées, tandis que les âges U/Th sont faussés par l'expulsion d'atomes d'uranium au cours de la transformation cristalline.

L'analyse du niveau noir a confirmé qu'il s'agit bien de dépôts de suie fossilisée, attribués à des feux entretenus par des occupants de la grotte entre 7.900 et 5.500 ans avant aujourd'hui.

Les observations faites sur ces deux stalagmites seront très utiles pour les recherches sur la chronologie de l'art pariétal, fondées sur les datations croisées U/Th et 14C et l'analyse minéralogique des voiles carbonatés recouvrant des œuvres pariétales, pour lesquels la taille du prélèvement est très limitée.

Ces travaux ont été réalisés en collaboration avec le laboratoire Geosciences Paris Saclay (GEOPS), PACEA (De la préhistoire à l'actuel : culture, environnement et anthropologie) à Bordeaux, les Universités de Cordoue et de Grenade et l'Institut andalou des sciences de la Terre (CSIC-UGR) à Grenade (Espagne).